S’ouvrir les veines n’est pas une méthode assurée de suicide
S’ouvrir les veines est l’expression la plus courante, mais on dit aussi qu’on se coupe les veines, que l’on se taille les veines ou que l’on se sectionne les veines (ou les artères).
On parle également de suicide par sectionnement pour désigner le geste de se couper des veines ou des artères, ou de suicide par exsanguination — désignant alors la cause médicale de la mort visée.
Le principe consiste à utiliser une arme blanche, ou tout autre objet coupant, afin de sectionner des veines ou des artères dans l’objectif de perdre suffisamment de sang pour en mourir. Les organes vitaux manquent progressivement de sang, puis le coeur cesse de battre.
Dans les faits, la méthode est très difficile: elle serait plutôt douloureuse et s’avère fatale pour seulement 1,2% à 6% des tentatives [1]. En d’autres termes, il y a au moins 94% de chance de rester vivant.
Aucune méthode de suicide n’est assurée. C’est pourquoi il vaut mieux se protéger contre les risques de la crise suicidaire, ou demander de l’aide.
Complications possibles lorsqu’on s’ouvre les veines sans mourir
Selon la quantité de sang perdue, le sujet pourra avoir droit à une transfusion sanguine à ‘hôpital.
Parmi les séquelles possibles, on notera celles qui sont liées au manque d’oxygène, tels que des troubles neurologiques.
Des cicatrices gênantes resteront dans de nombreux cas.
Presque toutes les tentatives de suicide amènent des complications diverses, y compris, souvent, des passages à l’hôpital. Selon le diagnostic posé à l’hôpital, un séjour plus ou moins long en psychiatrie peut alors survenir, avec soutien plus ou moins bénéfique ou médiocre. On entend des histoires de suicidaires qui sortent de l’hôpital plus désemparés qu’à leur arrivée. Souvent, la tentative de suicide se révèle une méthode peu efficace pour obtenir de l’aide professionnelle de qualité.
Si la tentative de suicide veut servir de message, celui-ci arrivera dans un contexte chaotique, il sera interprété dans une atmosphère de panique chez les proches, sans parler du risque d’être vu comme un acte de folie insensé, passagère ou non.
Se préparer à s’ouvrir les veines… et à survivre
À la lumières des statistiques, on comprendra que le suicidaire voulant se couper les veines doit se préparer à survivre, avec des séquelles ou non.
J’ai vu des personnes dans le coma intubées de partout à l’hôpital. J’été témoin des effets d’un manque d’air prolongé au cerveau. J’ai vu les effets dévastateurs sur les reins ou d’autres organes internes[…] J’ai même entendu des personnes regretter terriblement leur geste, mais mourir plus tard à la suite de complications médicales liées à leur tentative.(Marc-André Dufour, Se donner le droit d’être malheureux )
Toutes méthodes confondues, pour chaque tentative de suicide menant à la mort, on compte en général de 25 à 30 tentatives et 5 hospitalisations pour blessures auto-infligées[2].
Préparer une tentative de suicide devrait donc impliquer la préparation de la survie. Que se passera-t-il après? Il est fort probable, presque certain, que l’envie de vivre reviendra aussitôt (voire pendant) la tentative.
Plus de 90% de ceux qui font une tentative ne se suicident finalement pas; la souffrance finit par passer. Peut-on penser alors à survivre… sans passer par cette tentative?
«Je n’ai pas « raté » mon suicide. J’ai réussi à survivre, puis à revivre. »
Normand , rescapé
KELLY, ÉDUCATRICE EN PETITE ENFANCE
J’ai fait ma tentative de suicide à 29 ans en essayant de me couper les poignets avec une lame de rasoir.
Je vivais beaucoup de violence psychologique, verbale et sexuelle avec mon conjoint de l’époque. J’étais extrêmement isolée, même de mes propres. Il avait réussi à me convaincre que je ne valais rien, que personne ne voudrait de moi, etc.
J’ai pensé à mourir pendant un bon un ou deux ans avant de passer à l’acte. J’y pensais souvent mais j’avais encore très peur de la mort, à ce qui se passe après la mort, etc. J’avais caché une lame de rasoir « au cas où » je voulais passer à l’acte. J’ai choisi la lame de rasoir parce que je ne connaissais ps vraiment d’autres options, j’avais 2-3 idées issues de la culture populaire (films). Je ne consommais pas de médicaments.
Un jour après une énième crise la peur de la mort a comme disparu. Je ne sais pas comment. Je ne voyais plus le bout du tunnel. Je me suis coupée le poignet gauche à 4 ou 5 reprises mais en voyant le sang gicler j’ai capoté. À l’hôpital on m’a dit que je suis passée proche de perdre l’usage de ma main. On m’a emmené en psychiatrie. Je n’ai pas vraiment été suivie après ça, mais je n’ai plus essayé de m’enlever la vie. Le gout de vivre était toujours absent mais la peur de la mort toujours présente…
Aujourd’hui j’ai des regrets. J’ai encore les marques, que j’ai longtemps essayé de cacher. Je me suis même fabriquée une histoire de vaisselle cassée…Maintenant je suis plus ouverte à en parler mais à ce jour seul quelques amis sont au courant. Ma sœur s’en doute. Et quand quelqu’un me parle de mourir, je le crois.
Kelly, éducatrice en petite enfance
S’ouvrir les veines et mourir
Répétons que seul 1,2% à 6% des tentatives de suicide en se taillant les veines s’avères mortelles. Dans ces cas de mort par sectionnement, la durée moyenne de l’agonie serait de 104 minutes, soit près de deux heures[4]. Une source assez fiable laisse entendre que le degré de douleur serait de 71% (le taux de 100% représenterait le niveau maximal de douleur imaginable). On s’imagine souvent que ce moyen est indolore, mais ça ne semble pas être le cas, bien au contraire.
Est-il nécessaire de décrire la situation du suicidé après sa mort? Compte tenu de la méthode, c’est le sang qui distincte évidemment la scène: il y a entre 5 et 6 litres de sang dans un corps humain et on doit en perdre énormément pour mourir d’une hémorragie. Il n’est donc aucunement exagéré de parler d’une «mare de sang».
Selon la loi, tout suicide entre dans la catégorie des «morts violentes». Il y a alors dossier et enquête de police, approfondie ou succincte. Un coroner doit aussi obligatoirement enquêter sur chaque suicide puis produire un rapport, qui sera public. Des prélèvements sur le corps sont faits, parfois une autopsie, des proches sont interrogés, ainsi que des professionnels comme le médecin traitant, le psychologue, etc.
«Le lendemain de sa mort, juste après avoir parlé au coroner, j’ai reçu un appel de l’Institut Douglas, qui fait des recherches très réputées sur le suicide. Ils voulaient en savoir davantage sur le suicide de ma soeur. J’ai répondu à un grand questionnaire, puis je les ai autorisés à faire un prélèvement de son cerveau. Je crois qu’ils ont carrément enlevé son cerveau pour en faire des lamelles. J’aurais autorisé n’importe quoi pour aider à la recherche sur le suicide afin qu’on puisse comprendre l’incompréhensible et prévenir peut-être des suicides futurs. C’est trop atroce pour ceux qui restent, pour ceux qui aimaient et aiment encore.»
Alice, soeur d’une suicidée
Conséquences sur les survivants
Est-il nécessaire de décrire la situation du suicidé après sa mort? Compte tenu de la méthode, c’est le sang qui distincte la scène: il y aura une effroyable quantité de sang. La personne qui découvrira le corps aura droit à une vision de cauchemar, amenant presque assurément un syndrome de stress post-traumatique.
Tout le monde m’avait déçue. Je leur en voulait tellement, à tous!
Et je dois avouer qu’il y avait une part de vengeance dans mon désir de suicide: «vous allez payer». Je voulais qu’ils souffrent comme moi je souffrais.
Andrée
Selon les méthodes de suicide, ce sont les proches qui retrouvent le cadavre en moyenne une fois sur deux. Le traumatisme de ces personnes n’est pas difficile à imaginer. Notons qu’entre 7 et 10 personnes sont affectées profondément pour chaque suicide.[5]. Certaines de ces personnes ne s’en remettent jamais, une portion se suicident à leur tour, beaucoup auront terriblement honte, toutes se sentiront coupables. Personne ne comprendra.
L’arrêt de la souffrance mentale est couramment cité comme la principale motivation du suicide, mais la triste réalité est que le suicide n’arrête pas la douleur mentale: le suicide ne fait que transférer la souffrance à ceux qui restent.
Kees Van Heeringen[6]
«Comment se suicider en s’ouvrant les veines pour ne plus rien ressentir»
Je sais maintenant que de se trancher les poignets n’est pas aussi poétique ni aussi facile que je me l’imaginais. La coagulation du sang et l’évanouissement rendent en fait difficile le trépas par de telles blessures. Cette nuit m’occupa à rouvrir ces veines qui s’obstinaient à se refermer. Je fus patiente et persévérante, m’imaginant être un chirurgien fou, scalpel en main, et me charcutai pendant plus d’une heure. Ce combat contre mon corps était inattendu et, après avoir bien bataillé, je perdis connaissance.
À ma grande déception, je repris connaissance dans ma voiture. J’étais toujours moi-même, encore en vie, souffrant encore. Rien n’avait changé si ce n’est que mes poignets étaient comme vides et à vif.
Béatrice, suicidaire[7]
Selon la «théorie de la fuite», les gens n’auraient pas envie de se suicider s’ils pouvaient:
- être quelqu’un d’autre
- être ailleurs, ou
- ne plus être tourmentés
«Quand je pense au suicide, je souhaite devenir n’importe qui, n’importe quoi sauf moi-même. »
Jesse Bering [8]
Alternatives
Comment s’ouvrir les veines afin de mourir aisément, comme on s’endort?
Existe-t-il un moyen plus sûr et sans douleur?
«Si j’étais née avec un bouton d’autodestruction […], je pense que je n’existerais plus depuis longtemps. […] Mais j’ai l’impression que je ne suis pas la seule, et je suis même sûre que si tous les humains disposaient d’un tel bouton d’autodestruction sur lequel appuyer, il n’y aurait plus grand monde ici-bas»
Témoignage cité par Cristophe André[9]
Puisque le bouton d’autodestruction instantané n’existe pas, peut-on soulager le mal autrement? Si on avait les deux options suivantes:
- Mourir sans souffrir
- Vivre sans souffrir
Quelle serait l’option à privilégier?
Se suicider sans souffrir ou vivre sans douleur?
Préparer la crise suicidaire plutôt que préparer le suicide
Qu’est-ce que la crise suicidaire? Pourquoi faudrait-il se «préparer» à l’affronter.
J’ai peur de ce qui se passe en moi. Il y a un malaise incroyable. Je sens comme une boule infiniment lourde dans mon ventre. Parfois, mon envie de disparaître semble plus forte que moi, et j’ai peur de me suicider un jour malgré moi.
Daniel
La crise suicidaire a été documentée chez les morts par suicide, tout comme chez ceux qui ont survécu. Elle attaque principalement ceux qui ruminent des idées suicidaires. On pourrait la définir comme une violente tempête mentale qui survient sans prévenir, parfois juste après un événement pénible. Pendant cette crise, on a perdu toute liberté. C’est le moment où l’idée suicidaire prend toute la place et mène à la mort en l’espace de quelques heures, parfois même en quelques minutes.
Cette crise est donc extrêmement dangereuse. Il est cependant possible se protéger contre elle.
À lire:
Comment se protéger contre la crise suicidaire?
Notes
↑1 | selon des sources divergentes |
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↑2 | Agence de la santé publique du Canada, Nous soulignons |
↑3 | Stuart Hample, Doutes & Certitudes- Woody Allen en comics, Fedjaine, 2010 |
↑4 | Nous gardons confidentielle la source de ces statistiques pour des raisons de déontologie |
↑5 | Agence de la santé publique du Canada |
↑6 | Kees Van Heeringen, The Neuroscience os Suicidal Behavior, Cambridge Fundamentals of Neuroscience in psychology, Cambridge University Press, 2018, p.1 |
↑7 | Edvin S. Scheindman, Le tempérament suicidaire. Risques, souffrances et thérapies, De Boeck & Belin, 1999, p. 78 |
↑8 | «When suicidal, I’d happily swap places with anyone, or anything, as long as it isn’t me.». Bering, Jesse. Suicidal (p. 62). University of Chicago Press. (traduction libre). |
↑9 | Christophe André, Les états d’âme, p. 201 |